Le concepteur de plusieurs buvettes est un entrepreneur né, touche-à-tout et amateurs de défis.

L’architecte Charles Jenny sur la terrasse de la Rincette, une des buvettes qu’il a conçues.
24 HEURES / FLORIAN CELLA
Qu’on l’associe aux buvettes estivales lui donne de l’urticaire. Parce que cette activité ne représente qu’une toute petite partie de son travail d’architecte et parce qu’il trouve ce mot réducteur. «Concevoir une telle structure, c’est respecter toutes les contraintes techniques, sécuritaires ou hygiéniques d’un établissement en dur mais qui doit, en plus, être démontable!
C’est pourtant bien aux établissements éphémères que Charles Jenny doit une bonne partie de sa notoriété. Il est en effet le point commun entre La Crique à Morges, La Rincette à Vidy, La Superette sur la place de la Riponne à Lausanne et, depuis peu, La Concrète sur le quai général Guisan à Genève. «Un concours organisé dans un des plus beaux sites de Genève remporté par trois Lausannois. Vous imaginez?» se marre-t-il en concédant un brin de fierté.
Chacun de ces projets a toutefois été mené par une équipe différente dont il fait, ou a fait partie. «Ce qui m’intéresse, c’est le challenge de concevoir un projet pour gagner un concours! Après, je peux partir!»
Le truc qui fait mouche
Avec autant de victoires à son actif, on en déduit que Charles Jenny a trouvé le truc faisant mouche auprès des jurys: des projets uniques, conçus spécifiquement pour chacun des lieux, construits à partir de matériaux locaux et par des artisans de la même veine. «J’ai compris qu’il y avait une attente des services communaux pour de tels projets et comment composer avec leurs exigences parfois contradictoires», sourit le multiple vainqueur.
Même s’il ne s’en rendait pas compte, ce trentenaire parlant à un rythme soutenu avait toutes les cartes en main pour coconcevoir ces projets gagnants: une expérience dans la restauration acquise au Café St-Pierre à Lausanne en cherchant à financer ses études et des compétences professionnelles d’architecte facilitant la conception des projets et la gestion des procédures.
Mais aussi et surtout un esprit d’entrepreneur doublé d’une âme d’indépendant vissés au corps. «Gamin, je bricolais des sarbacanes que je revendais aux copains. Ensuite, je suis passé aux meubles. Mes parents m’ont toujours poussé à me débrouiller seul. Ça a d’ailleurs été un peu chaud pendant mes études, car j’étais plus motivé par mes activités annexes, qui me permettaient de gagner quelques sous, que par mes cours…»
Jardins suspendus
Durant cette période, ce touche-à-tout a, par exemple, créé une start-up autour d’un projet de jardins suspendus. «Quand je regarde mon portfolio aujourd’hui, certains projets me font rire. J’étais chou, quoi!» se marre-t-il de bon cœur.
Il a aussi été mandaté pour réaliser des images de synthèse du projet de Maison suisse pour les Jeux olympiques de Tokyo 2020, finalement annulés en raison du Covid. «Mais je ne remercierai jamais assez Alexandre Edelmann d’avoir donné sa chance à un jeune qui avait envie de bosser», souligne-t-il, toujours reconnaissant de ce qui lui arrive.
«Nous cherchions quelqu’un avec une maîtrise technique des outils de visualisation pour tester des hypothèses, se souvient ce dernier, ambassadeur et chef de Présence suisse au Département fédéral des affaires étrangères. Charles Jenny a un profil très intéressant pour Présence suisse car il est très helvétique dans la précision de son travail, tout en incarnant cette génération qui a envie d’y aller et ne se met aucune limite.»
Envie de créer
Mais revenons au gamin qui vendait des sarbacanes. Après une scolarité du côté d’Apples, expédiée en mode service minium – «J’ai toujours visé le meilleur ratio travail/rendement pour pouvoir le plus rapidement possible retourner jouer dehors avec les copains» – le jeune homme s’est dirigé vers une formation d’architecte à l’EPFL, mû par une envie de créer.
S’il a apprécié l’aspect artistique des études, il déplore le manque de formation sur les aspects concrets du métier. «On nous enseigne peu de choses sur les procédures administratives ou la gestion financière. Or, quand l’architecte commence à imaginer à quoi un projet va ressembler, le client, lui, veut déjà et surtout savoir combien ça va coûter.»
Voilà pourquoi Charles Jenny s’est tout récemment inscrit à une formation pour obtenir un brevet fédéral d’expert en estimation immobilière. Le premier pas en direction d’un pôle mariant architecture et immobilier; un nouveau projet à la fois concret, rationnel et cohérent comme il les affectionne.
Esprit «hygge»
Durant ses études, le jeune architecte est aussi allé se changer les idées au Danemark. «J’ai toujours eu un attrait pour la philosophie et le design scandinave. J’ai donc eu envie d’aller découvrir sur place ce que je ne connaissais qu’à travers les magazines.» Il en est revenu enthousiasmé et durablement contaminé par le hygge, cet état d’esprit positif procuré par un moment réconfortant, agréable et convivial.
Son premier pas dans le monde des buvettes fut toutefois très loin d’être hygge. «Quand on a vu que la Ville de Morges organisait un concours, on s’est lancé avec ma bande de potes. Mais on n’avait pas du tout conscience du contexte. On s’est retrouvé en pleine polémique, face à un déversement de haine sur les réseaux sociaux.» Touché, notamment parce que beaucoup de reproches étaient infondés, il en a gardé un grand sentiment d’injustice.
Pas de quoi toutefois refroidir les ardeurs de cet infatigable entrepreneur toujours à la recherche de nouveaux défis. D’ailleurs, son état d’esprit reste le même quand il se ressource: tout le temps à fond! Pour se «détendre», Charles Jenny pratique ainsi la boxe anglaise (aussi en compétition!), la boxe thaïe et le kickboxing!
Et quand il a un peu de temps libre, il s’envoie vite fait une participation aux 20 km de Lausanne ou au triathlon de la même ville. Presque une formalité pour cet usager quotidien du vélo, sans assistance électrique bien sûr. «J’ai une voiture, mais je ne supporte pas d’être coincé dans les bouchons.» Le contraire aurait été surprenant!
Article by

Sylvain Muller
Published on
4 nov. 2025
